Violaine Bérot # Comme des bêtes

Me voici à rédiger la chronique d’un roman dont je ne sais que dire. Tant il m’a prise aux tripes. Bouleversée.

Il est des romans qui ont marqué indélébilement ma vie de lectrice. Je me souviens de celui de Carole Martinez, « Le cœur cousu » que j’ai lu et relu moult fois sans jamais apaiser mes émois.

« Comme des bêtes », de Violaine Bérot, m’a touchée au plus profond de mon essence de femme, de mère, d’être humain.

Dans la société abrupte, bourrue, frustre parfois, de la vallée d’un village de montagne. Un couple mère-fils. Un fils étrange, tellement déconcertant. Il ne parle pas aux autres. Il les craint. Il parle aux bêtes, entretient avec elles une relation de soin, d’écoute, de compréhension. Une mère « courage » qui protège son enfant, contre vents et marées, contre une société qui refuse la différence, la rejette, la punit parfois.

Beaucoup de colères dans ce roman choral, des colères qui ont résonné en moi, hors des raisonnements formatés.

Une tendresse généreuse, sans parti pris, authentique pour des personnages ordinaires qui vont témoigner de leurs idées sur les pluralités sociales, psychiques, sociétales : une enseignante, un ancien camarade de classe du fils ‘l’Ours », comme il est nommé dans le roman, un voisin, un chasseur, un éleveur, un facteur, une pharmacienne. Et six autres encore qui diront leur propre vision des choses.

Et puis les fées. Leur regard sur le monde d’en bas, le monde des « géants ». La délicatesse lucide et clairvoyante de leur regard. Leurs réponses discrètes et poétiques aux questions que je ne peux que me poser.

Depuis toujours
nous
les fées.

Depuis toujours
au-dessus du monde d’en bas
à observer ce qui s’y trame.

Nous
les fées
cachées dedans la grotte
à l’aplomb de la paroi
discrètes curieuses.

Nous
les fées
qui du monde d’en bas
aurions tant à raconter.

©Écri’turbulente – 15 avril 2021

Mathieu Menegaux # Femmes en colère

Cour d’assises de Rennes, juin 2020, fin des débats : le président invite les jurés à se retirer pour rejoindre la salle des délibérations. Ils tiennent entre leurs mains le sort d’une femme, Mathilde Collignon. Elle est accusée d’un crime barbare, qu’elle a avoué, et pourtant c’est elle qui réclame justice. Dans cette affaire de vengeance, médiatisée à outrance, trois magistrats et six jurés populaires sont appelés à trancher : avoir été victime justifie-t-il de devenir bourreau ?

Neuf hommes et femmes en colère doivent choisir entre punition et pardon.

Au cœur des questions de société contemporaines, un suspense haletant porté par une écriture au scalpel

La colère ? Quelle colère ? La colère pourquoi ? La colère contre quoi ? Qui est en colère ?

Ce roman – dont on pourrait se demander s’il est totalement fictionnel – porte la colère à son paroxysme. Mais que fait dans ce prétoire, en qualité d’accusée, Mathilde Collignon, une femme bien sous tous rapports, gynécologue, mère de famille accomplie, aimante et aimée de ses deux filles ? Une femme dans son temps, de son temps, dans notre temps : 24 juin 2020. Sur fond de Covid, de #Balancetonporc et de #MeToo.

« Je demeure incapable d’éprouver des regrets, ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient, ces deux salopards, que pourrais-je ajouter ? » (p. 9-10)

Mathilde Collignon écrit cette phrase dans les premières lignes du journal intime qu’elle entreprend pendant les délibérations du jury d’assises à l’issue desquelles elle saura si la société lui accorde pardon pour un acte qualifié de barbarie sur deux hommes. Elle risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.

Le roman est court, dense, si subtilement écrit que j’ai pu entrer sans effraction dans la peau de ses personnages. Au fil des chapitres, j’ai épousé les sentiments, les émotions (sans pathos) de chacun d’entre eux. Et réfléchir, analyser, raisonner. À la fois juge et partie. Simplement un voyage intérieur au cœur de mon propre vécu, de mes expériences. Je suis née à la fin de la première moitié du siècle dernier. Je suis « la mère » parmi les indénombrables militant(e)s de la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse. Je suis aussi la fillette qu’une main subreptice a flattée contre son gré, dans les années de la deuxième moitié du siècle dernier. Je ne suis pas Mathilde Collignon parce que jamais je n’ai imaginé de représailles.

Victime ou criminelle, Mathilde Collignon ? Un jury de neuf femmes et hommes doivent statuer. Sauf que dans ce procès, à huis clos, il n’y a pas d’autre coupable qu’elle : une Némésis mutilée, mortifiée, que l’on tient pour tortionnaire.

© Écriturbulente # 22 mars 2021

Noël, René-Guy Cadou

Noël

Douce étable de la terre
Pas plus grande qu’appentis
On y met pelles et pioches
On y rentre les brebis

Dans l’auberge haute et large
À l’enseigne des rieurs
On dispute on se goberge
De volailles et de liqueurs

« Des draps blancs de quoi en somme
« T’en payer toute la nuit
« Tu rigoles mon bonhomme
« Pourquoi pas poulet au riz »

Le Joseph le malhabile
Sa casquette entre ses doigts
« – Donnez-nous ce soir asile
« Ma femme ne va pas bien »

Cependant la neige tombe
Et par l’huis entrebâillé
Des étoiles d’argent nimbent
Le front blanc de sa moitié

« Pour la nuit ou bien pour l’heure
« Nous n’avons place pour toi
« Couchez-vous si ça vous chante
« Dans l’étable qui est là »

Et du doigt désignant l’ombre
Il referme à double tour
Le battant de son auberge
Et la porte de son cœur

Mais la nuit malgré les rires
On entend bien les clameurs
Nom de Dieu ! dit l’aubergiste
Y a le feu dans ma demeure

Il bouscule la servante
Et s’acharne sur la clef
Dans la nuit la neige bouge
Comme feuilles de lauriers

Rassuré il se rapproche
De l’étable des rôdeurs
Il voit double il se raccroche
Aux piquets de la clôture

Un enfant sur de la paille
Tout autour illuminé
Et les gens du voisinage
Debout près du monde entier

René Guy CADOU, Le diable et son train (1949)

Mais c’est cousu de fil blanc !

Cousu de fil blanc,
une expression populaire française.

D’où vient cette expression ?

L’expression daterait de la fin du XVI° siècle. Ce fil blanc peut être celui qu’emploie la couturière pour le faufilage : sachant qu’une telle couture n’est que provisoire, la couleur du fil n’est pas importante. Il n’en va évidemment pas de même pour une couture définitive qui, pour qu’elle soit discrète, doit utiliser un fil de la même couleur que le tissu : utiliser du fil blanc sur un tissu noir ne passerait pas inaperçu !

Le faufil,
un souvenir d’enfance.

Quand j’étais gosse, et que j’allais, le jeudi après-midi, passer du temps auprès des bonnes sœurs de mon village, histoire d’occuper « sainement, disait-on » ce moment de la semaine exempt d’école (maintenant, ça s’appelle « garderie »), elles m’enseignaient le faufil. Certaines, un peu machiavéliques (pardon, mon dieu), allaient jusqu’à mesurer la longueur de chaque point.

Alors qu’éphémère,
il devait se défaire
.


Bâtir / faufiler : Comment, pourquoi et quand ? - patrons de couture &  cours de couture - Blousette Rose

L’expression « Cousu de fil blanc » apparaît dès 1594 dans la Satire Ménippée, un pamphlet qui contribua au ralliement des Français au roi Henri IV.

« Vous pensez estre bien fin : mais vos finesses sont cousuës de fil blanc : enfin tout le monde les voit […]. »

Quand Louis XIV, en 1767, se met à la couture…

Tout ça pour dire que…

Dans son Dictionnaire d’argot (1965), Esnault nous rappelle que fil blanc ou marchand de fil blanc désignait aussi, au début du XXe siècle, un gendarme (à cause de la couleur de ses galons).

et que…

Considérant la grosseur plutôt que la couleur, on peut dire, avec le même sens, que … « la ficelle est un peu grosse ».

Affaire GRIGNON / PSG : Et si la corde de POISSY était une grosse ficelle ?  - Collectif pour le futur du site de Grignon

Terminons en musique

Alouette, gentille alouette…

« Le miroir aux alouettes »,
une expression populaire française.

« Combien ils avaient pioché de trous, cachettes… oubliettes ?… dans la vase, dans les sables, dans le roc ? Sapeurs cachotiers !… tout l’afur était sous le château, les doublons, les rivaux occis… les hauts, le visible, formidable toc, trompe l’œil, tourelles, beffrois, cloches… pour le vent ! miroir aux alouettes !et tout dessous : l’or de la famille !… et les squelettes. « 

Céline – D’un Château l’autre

Qu’est-ce que c’est, en vrai,
un miroir à alouettes ?

Nérée Quépat, juriste, ornithologue et historien français du passé messin, décrit ainsi, dans « Le chasseur d’alouettes au miroir et au fusil », (In Encyclopédie illustrée du sportsman, parue en 1871), le stratagème cynégétique qui permet de capturer ces oiseaux, à tête de linotte, déjà affriolés par les strass et les paillettes :

© BNF Gallica

Mais comment un si joli volatile peut-il se faire piéger par ça ?

Attribué à Bruet, fabriqué au XIX° siècle. – Source

L’Abbé Rozier,
né le 23 janvier 1734 à Lyon (paroisse Saint-Nizier) et mort dans la nuit du 28 au 29 septembre 1793 dans cette même ville, botaniste et un agronome français, en parle ainsi, dans son Cours Complet d’agriculture (1781-1800) :

Il s’agit d’attirer les alouettes, et c’est à quoi sert le jeu du miroir. […] Cette chasse se pratique le matin jusqu’à midi. L’époque la plus favorable est celle de la fin de l’été et du commencement de l’automne, jusqu’au mois d’octobre environ. Il faut que le soleil luise ; les jours de gelées blanches sont très-favorables, parce que l’alouette commence à chercher le soleil ; et il paroît que c’est ce sentiment qui l’attire vers la lumière que jette le miroir mis en mouvement. Quelque soit au reste l’instinct qui la porte vers cet éclat trompeur, il est certain qu’il a pour elle un attrait funeste. On la voit venir voleter et badiner autour de la fatale machine. […] À quelque distance du miroir, on plante un petit piquet où l’on attache par la patte une alouette vivante ; et à son défaut, on se munit de deux ailes d’alouettes fixées à une petite baguette que l’on place sur ce même piquet. Une longue et légère ficelle tendue jusqu’au chasseur, lui donne le moyen de faire voltiger son alouette ou d’agiter ces ailes. Cet appareil, qu’on appele moquette, contribue efficacement à faire descendre les alouettes qui n’échappent pas à cette nouvelle embûche.

La raison de cette attirance est simple : certaines espèces d’oiseaux, parmi lesquels l’alouette, ont une sensibilité inhabituelle à la lumière. Leur œil, alors attiré par ces rayons multiples, les emmène droit dans le piège des chasseurs. Triste fin pour l’oiseau chanteur.

Mais qu’en est-il pour l’humain ?

Eh bien, on pourrait dire que c’est pareil ! Attiré, subjugué, fasciné par le clinquant, les strass, les paillettes, la pacotille, la quincaille, le tape-à-l’œil, l’homo sapiens se fait avoir comme un bleu par tout ce qui miroite.

Je laisse au poète le soin d’ouvrir (ou de fermer) le débat.

« Les injustices des pervers
Servent souvent d’excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l’Univers :
Si tu veux qu’on t’épargne, épargne aussi les autres.
Un manant au miroir prenait des oisillons.
Le fantôme brillant attire une Alouette :
Aussitôt un Autour, planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette
Sur celle qui chantait, quoique près du tombeau.
Elle avait évité la fatale machine,
Lorsque, se rencontrant sous la main de l’oiseau,
Elle sent son ongle maline.
Pendant qu’à la plumer l’Autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé ;
« Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage ;
Je ne t’ai jamais fait de mal. »
L’Oiseleur repartit : « Ce petit animal
T’en avait-il fait davantage ? « 

L’oiseleur, l’autour et l’alouette
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Fable du livre VI (1678).

Paris, mille vies – Laurent Gaudé

Un soir de juillet, sur l’esplanade de la gare Montparnasse, le narrateur est apostrophé par un homme agité qui répète plusieurs fois sa question : Qui es-tu, toi ?

Guidé par cette ombre errante, il déambule de nuit dans un Paris étrangement vide où les époques se mêlent. Tant de présences l’ont précédé dans cette ville qui l’a vu naître, et ce sont autant de fantômes qu’il faut dire, apaiser, écrire, avant de revenir au grand appétit de la vie.

Entre art poétique et récit fantastique, l’auteur célèbre sa ville et se souvient, à la fois sincère et discret, heureux d’être un parmi les hommes et de chanter, le temps d’une nuit, ces mille vies qui nous devancent, nous accompagnent, nous prolongeront.

Acte Sud – 7 octobre 2020

À malin malin et demi – Richard Russo

Il faut un solide talent pour construire l’intrigue d’un roman de quelque 624 pages autour d’une télécommande de garage ! Un solide talent, et une bonne dose d’extravagance !

C’est l’exploit que Richard Russo est parvenu pourtant à accomplir. Et il paraît qu’il n’en était pas à son coup d’essai : il signait son dixième livre avec « À malin malin et demi« , paru en 2017, aux éditions Quai Voltaire. Il avait reçu avec lui le Grand Prix de Littérature Américaine, de la même année. Depuis, il a commis d’autres ouvrages (« Et m*** » aux Éditions de La Table Ronde, en 2020 et « Retour à Martha’s Vineyard« , cette même année.

À malin malin et demi (Everybody’s Fool, qui signifie littéralement Tout le monde est fou) est la suite de Un homme presque parfait, paru en 1995 (Nobody’s Fool = Personne n’est dupe). On retrouve le personnage central, Sully, qui, avec d’improbables compagnons de route tous plus déjantés les uns que les autres, évolue dans une ville/friche industrielle, North Bath.

Mais que vient donc faire une télécommande de garage dans cette histoire ? Il faut suivre les errances de Douglas Raymer, chef de la police de North Bath, pour le comprendre ! Dougie, pour les intimes, entraîne dans son sillage ses compagnons d’infortune ; Charice, policière noire fière de son identité, Rub, l’acolyte bègue de Sully, Carl, le magnat de la ville, Jerome, le frère jumeau de Charice, Alice, la femme du maire, Zack, le mari de Ruth, et leur fille Janey… Et l’autre Rub, le chien de Sully,.. Dougie est veuf de Becka, qui, alors qu’elle allait le quitter, dégringole dans l’escalier et se tue.

Et une télécommande de garage !

Tout ce petit monde « fou », comme le dit très opportunément le titre original, va déambuler dans un décor ubuesque de cimetière marécageux, d’ancienne usine qui schlingue, de chien qui passe son temps à mordiller son pénis, d’un pan de mur entier qui s’effondre sans raison, de violences conjugales, d’histoires de coeur plutôt confuses, d’obsessions sexuelles post-prostatiques, de trafic de serpents… Impossible de ne rien oublier dans cette vaste mise en scène.

À malin malin et demi, c’est aussi une réflexion sur l’amitié…

C’était ce qu’il y avait eu de pire dans son amitié avec Sully : être obligé de le partager. Chez Hattie, au OBT, au White Horse. Peu importe. L’arithmétique cruelle de leur amitié voulait que Sully soit l’unique ami de Rub, alors que Rub était un des nombreux amis de Sully.

Sur l’amour…

Tu cherches une explication rationnelle à un comportement irrationnel. Pourquoi les gens tombent-ils amoureux ? Personne ne le sait. Ça arrive, voilà tout.

Sur la société de consommation…

Au restaurant, les gens s’empiffraient. Le goût de ce qu’ils avalaient semblait importer peu, voire pas du tout, du moment qu’il y en avait beaucoup, montagnes de frites ou auges de coleslaw. De la même manière qu’ils accomplissaient les autres tâches indispensables de la journée, ils mangeaient avec concentration, détermination et conviction. Quand ils avaient terminé et que vous leur demandiez si ça leur avait plu, ils paraissaient surpris. Leur assiette était vide, non ? S’il y avait eu un problème, ils se seraient plaints. D’autres répondaient par un sophisme révélateur : « Je suis gavé. » Comme si, en mangeant, ils remplissaient temporairement le vide qui était la condition dominante de leurs vies.

Sur la société en général…

C’était stupéfiant, en effet, de voir que les choses poursuivaient leur train-train, sans aucune raison ni nécessité évidentes, indifférentes à la vie, à la mort et à tout le reste.

À malin malin et demi (ou, dans le sens premier de cette expression « tel est pris qui croyait prendre), c’est un formidable moment pour le lecteur qui accepte de se laisser transporter par cette faune multivoque et protéiforme, attachante, un peu brindezingue, parfois loufoque et truculente, mais surtout fascinante.

Je rechigne, d’ordinaire, à entreprendre la lecture de ce qui s’appelle « un pavé ». Celle-ci ne m’a pas rassasiée.

Cela dit, sauf à vous plonger dans ce roman, vous ne connaîtrez pas le rôle prépondérant que joue cette télécommande de garage.

Vous pouvez toujours laisser libre cours à votre imagination, débridée je n’en doute pas, pour lui trouver une raison d’être. et faire une proposition en commentaire.

Note : 5 sur 5.

Peut-être les mots

Peut-être
un jour
reviendrai-je à l’écriture
aux mots
qui se sont échappés.

Peut-être nourriront-ils
dans un autre futur
mes rêveries chimériques.

Peut-être les retrouverai-je
nichés dans un plat
exquis
suaves et fragrants.

Peut-être est-ce là
qu’en ce moment ils séjournent
espérant
qu’à nouveau je les mitonne.

Peut-être saurai-je encore
les interpréter
les déchiffrer
les incarner.

Peut-être arriverai-je
à faire bouquer
les munificents ingrédients
qui leur offrent sapience.

Peut-être
partis vers d’autres univers
ils s’exhaleront soudain
du bouquet d’un fricot.

Peut-être
les mots
se déguisent-ils
en comestibles tangibles.

Peut-être s’en sont-ils allés
en brouets d’andouille
en brioches et en galimafrée.

C’est ici que vous pouvez les retrouver.

Autrement dits
fardés d’arômes et d’épices
cachés dans le nectar
des nourritures matérielles.

© Écri’Turbulente – 6 septembre 2020.

J’ai un mot à vous dire : « mot »

Quand le mot « mot » signifiait « grommellement« , quand « chétif » signifiait « prisonnier« , quand ce qui était « formidable » était d’un « aspect terrifiant« …

Les mots sont de telles forces de la nature que même s’ils ont été, au fil de la parlure humaine, bousculés, chamboulés, houspillés, ils n’ont jamais perdu leur valeur ni leur authenticité.

L’étymologie – intrinsèquement « la recherche du vrai » – nous apprend beaucoup du voyage dans le temps et dans le langage des vocables que nous utilisons familièrement sans même nous préoccuper de savoir s’ils nous ont accordé le droit à l’image et au sens.

« Mot » a d’ailleurs son mot à dire dans cette histoire.

Il est né du verbe latin « muttire » (muttio, is, ire) qui, au 2° siècle avant J.C., n’avait pas vraiment fière allure :

Mutmut acere – Apulée (env. 125 / env. 170) – Onze livres de métamorphoses (ou l’Âne d’or) – Faire mutmut : marmonner

« Mot » entre dans la langue française à la fin du X° siècle, mais n’est guère employé que dans des formes négatives : « il ne sonne mot » ; « il ne dit mot« , c’est à dire « il n’exprime même pas un grognement« .

Ce n’est qu’au XIV° siècle qu’il commence à être employé sans la négation et qu’il devient un véritable mot.

Après avoir correspondu à une absence de mots, le voici porteur d’une signification précise. Il est passé de rien à quelque chose !

En somme avec les mots

C’est comme avec les herbes,
Les chemins, les maisons, tout cela,
Que tu vois dans la plaine
Et que tu voudrais prendre.

Il faut les laisser faire,
Par eux se laisser faire,

Ne pas les bousculer, les contrarier,
Mais les apprivoiser en se faisant
Soi-même apprivoiser.

Les laisser parler, mais,
Sans qu’ils se méfient,
Leur faire dire plus qu’ils ne veulent,
Qu’ils ne savent,

De façon à recueillir le plus possible
De rêve en eux,

De ce que l’usage du temps
A glissé en eux de concret.


Guillevic, Inclus, Gallimard.

La photo du mois : Transformation

Voici le thème du mois, proposé par Corinne Pilisi :

muguet

Un peu poil à gratter, ce thème ! Après avoir imaginé photographier un bouquet de persil avant et après hachage, des œufs en train cuire, la lumière vint ! Normal, c’était un arc en ciel. N’est-ce pas là une des illustrations parfaites de la transformation de l’eau en couleur ? La lumière blanche du soleil qui se reflète sur les gouttes de pluie qui la réfractent en un spectre multicolore.

CUMULONIMBUS

En quoi les photonautes du groupe la photo du mois se sont-ils transformés ?

Akaieric, Amartia, Blogoth67, Brindille, Chris M, Christophe, Cynthia, Danièle.B, El Padawan, Escribouillages, FerdyPainD’épice, Frédéric, Gilsoub, Gine, J’habite à Waterford, Jakline, Josette, Julia, Kemba, La Tribu de Chacha, Laurent Nicolas, Lavandine, Lilousoleil, magda627, Marie-Paule, Marlabis, Morgane Byloos Photography, Nicky, Philisine Cave, Pilisi, Pink Turtle, Renepaulhenry, Shandara, Sous mon arbre, Tambour Major, USofParis, Xoliv’, écri’turbulente.

La photo du mois : « Mon amie mon ombre »

C’est Akaieric qui a donné le thème, ce mois-ci. Clic sur la page du calepin pour lui rendre visite.

20200422_104807 SILENT 203

Mais où est-elle ? Qui est-elle ?

20190814_150711 LA PHOTO DU MOIS

Allons voir les traces des autres photonautes de la Photo du Mois :

Akaieric, Amartia, Betty, Blogoth67, Brindille, Chris M, Christophe, Cynthia, Danièle.B, El Padawan, Escribouillages, Eurydice, FerdyPainD’épice, Frédéric, Gilsoub, Gine, J’habite à Waterford, Jakline, Josette, Julia, La Tribu de Chacha, Laurent Nicolas, Lavandine, Lilousoleil, magda627, Marlabis, Morgane Byloos Photography, Nicky, Philisine Cave, Pilisi, Pink Turtle, Renepaulhenry, Sous mon arbre, Tambour Major, USofParis, Who cares?, Xoliv’, écri’turbulente.

Pierre Perret : Les confinis

Comment aider ces pauvres gens qui agonisent
Qui attendaient qu’on leur vienne à la rescousse
Pendant qu’les infirmières mouillaient la ch’mise
Qu’les infirmiers faisaient suer l’burnous
Pendant qu’ils couraient tous dans la panade
Dans les couloirs encombrés de macchabées
Les cherchez pas pour soigner les malades
Tous les docteurs étaient à la télé

Ils nous ont tant confinés
Puis déconfinés, puis reconfinés
Qu’on redoutait d’être in fine
Des cons finis

Il décrétèrent un jour qu’les vieux d’la vieille
Faut les ach’ver à soixant’dix balais
Disant l’contraire de c’qu’ils disaient la veille
Quand cette gripette les faisait bien marrer
D’un air savant y v’naient faire des tirades
Remplis d’avis et d’conseils ampoulés
Pendant qu’l’hosto croulait sous les malades
Nos braves docteurs étaient à la télé

Ils nous ont tant confinés
Puis déconfinés, puis reconfinés
Qu’on redoutait d’être in fine
Des cons finis

Y avait l’Raoult çui qui les enquiquine
Qui les traitait tous comme des Diafoirus
D’après lui y a guère que sa chloroquine
Qui pourra fout’les chocottes au virus
La porte-parole elle s’appelle Sibeth
Y’en a qui pensent qu’elle porte bien son nom
On sent bien qu’la moindre idée qui se pointe
Lui déclenche un ouragan dans l’citron

Ils nous ont tant confinés
Puis déconfinés, puis reconfinés
Qu’on redoutait d’être in fine
Des cons finis

L’soir aux infos y a l’tondu l’aut’sadique
Qui compte les morts et puis y’a l’défilé
Des professeurs, des stars, des scientifiques
Et puis l’rouquin, l’Amerloque, le cinglé
Et en fin d’compte on a su pour les masques
Qui étaient gérés par une bande de couillons
Qu’s’il en restait plus du tout c’était parce que
Ils en avaient détruit six cents millions

Ils nous ont tant confinés
Puis déconfinés, puis reconfinés
Qu’on redoutait d’être in fine
Des cons finis

Les infirmières qui gagnent des clopinettes
Même pas au SMIC galèrent à tour de bras
On récompense nos courageuses Cosettes
D’applaudissements, d’médailles en chocolat
Mes p’tits marquis vous devriez avoir honte
La dignité chez vous elle est en deuil
Pas une seule de vos promesses à la gomme
Ont un jour consolé leur portefeuille !

Ils nous ont tant confinés
Puis déconfinés, puis reconfinés
Mais vous vous rest’rez pour la vie

Des cons finis

Pierre Perret – 2020

 

modle-de-lettre

Achille Chavée, C’est ainsi

C’est ainsi

Il est certain que quelque chose existe
est
tendant à nous nier
nous dépassant
et qui en nous se réalise
et qui se justifie
dans la naissance d’un poète
et dans sa mort
dans un petit village
au fond de la brousse spirituelle
Il est certain que je vous aime
comme un enfant
ayant perdu sa mère à l’âge du secret
que vous auriez recueilli
après une tornade
dans un îlot de la dévastation
que vous auriez recueilli
ainsi qu’une émeraude
tombée du diadème de l’absolu

Achille Chavée – De vie et mort naturelles

D’autres poèmes d’Achille Chavée, en l’honneur de son anniversaire :

Verdict
À cor et à cri

Achille Chavée : Vœu

L’estuaire du ciel est un apéritif

Giboulées d’éléphants rouges tombez

que la terre perde son teint de suicidée

tombez en robes de moissons

sur les campagnes d’abandon

en caresses germinatoires

dans cette crypte de lumière

où luit orageusement dure

sous trois cents nœuds gordiens d’éclairs

en son écrin de javeline

blonde d’intolérance blonde

une graine de vérité

Achille Chavée

D’autres poèmes d’Achille Chavée, en l’honneur de son anniversaire :

Verdict
Du temps que j’étais milliardaire
À cor et à cri

Bon anniversaire, Achille Chavée

C’est aujourd’hui l’anniversaire de la naissance d’Achille Chavée,
il y a 114 ans,
le 6 juin 1906
à Charleroi en Belgique.

• «.¸¸.¤°´¯`•๓.๔• ´¯`°¤.¸¸.»•

Issu d’une famille catholique installée en 1922 à La Louvière, Achille Chavée entame des études de droit à Bruxelles (1925) puis s’inscrit en 1930 au barreau de Mons. Il s’engage en 1927 dans l’action politique et fonde avec Walter Thibaut l’Union fédéraliste wallonne qui revendique l’autonomie culturelle et politique de la Wallonie. Il participe à la création de la revue La Bataille wallonne qui paraît en 1929. Il prend la défense des ouvriers et des mineurs après les grandes grèves débutées dans le borinage et la région du Centre ensuite étendues au bassin industriel Wallon en 1932.

En 1936, Achille Chavée rencontre André Breton et Paul Éluard, à Paris, et cosigne à Bruxelles l’exclusion du groupe belge du musicien André Souris. En novembre, il part en en Espagne et s’engage dans la brigade Dombrovski des brigades internationales en tant qu’officier puis auditeur militaire. [Il y participera au processus d’élimination physique des militants anarchistes par les staliniens. De retour en Belgique en 1937, il fait, en 1938, la connaissance de Pol Bury. Après la dissolution de Rupture (fin 1938), Achille Chavée fonde, le 1er juillet 1939 à Mons, « Le Groupe surréaliste en Hainaut », avec Fernand Dumont, Marcel Lefrancq, Armand Simon, Louis Van de Spiegele. En 1940, il collabore aux deux numéros de la revue L’invention collective créée par Magritte et Raoul Ubac. Résistant communiste durant la Seconde Guerre mondiale et recherché par la Gestapo, il entre dans la clandestinité en 1941.

Chavée participe activement au « Surréalisme révolutionnaire ». En 1956, il fonde le groupe « Schéma » et adhére en 1961 au Mouvement populaire wallon.

Achille Chavée collabore encore à plusieurs revues surréalistes belges et publie une trentaine de recueils de poèmes.

Jusqu’à sa mort en 1969, il encourage de nombreux jeunes artistes, écrivains, sculpteurs, peintres et photographes.

Source

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À compter d’aujourd’hui et pendant sept autres jours consécutifs, je publierai des extraits de son oeuvre.

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À cor et à cri

Dans tous les coins de la planète
les bobines de fil blanc
se tordent de rire comme
de petites baleines si l’on peut dire cependant
que dans mon tiroir les bobines
de fil rouge s’agitent poussent
des cris lamentables

Elle ont lu le sonnet des
voyelles dans les yeux d’une
femme honnête jouant les
deux orphelines sur un boulevard de porcelaine

Leurs préférences iront toujours
à la belle ilote ivre aux robes
de paille secrète grimpée sur
la nuit solide pour mieux
rencontrer l’amour le bel
aveugle de naissance qui
sculptera dans la mémoire
le corsage au masque de fer

Achille Chavée

Chavée signature

 

 

 

 

 

D’autres poèmes d’Achille Chavée sur ce blog :

Verdict

 

Le dictionnaire débonnaire #22.20

RAPPEL DES RÈGLES

Le lundi, je propose un mot. Un mot, un vrai, un qu’on peut trouver dans n’importe quel dictionnaire de bonne facture. Un mot, parfois très contemporain, mais parfois aussi un peu désuet, oublié, ou peu usité.

Vous avez jusqu’au dimanche à midi, pour proposer une définition étymologique et rocambolesque de ce mot, définition à assortir d’une citation abracadabrantesquement  imaginaire. Autrement dit, vous écrivez une phrase ou deux pour illustrer votre définition.

Vous déposez votre proposition en commentaire, qui ne sera validé qu’à la fin de la semaine, après que toutes les participations sont dévoilées, le dimanche à 20 h.

Voici le mot à définir

ROCAMBOLESQUE

 

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Dictionnaire-militaire-2100

Rendez-vous dimanche 31 mai  2020, à 20 h 

• • «.¸¸.¤°´¯`• Écri’Turbulente• ´¯`°¤.¸¸.»•

Brouillamini dans le Dico… quel quiproquo !

RAPPEL DES RÈGLES

Le lundi, je propose un mot. Un mot, un vrai, un qu’on peut trouver dans n’importe quel dictionnaire de bonne facture. Un mot, parfois très contemporain, mais parfois aussi un peu désuet, oublié, ou peu usité.

Vous avez jusqu’au dimanche à midi, pour proposer une définition étymologique et rocambolesque de ce mot, définition à assortir d’une citation abracadabrantesquement  imaginaire. Autrement dit, vous écrivez une phrase ou deux pour illustrer votre définition.

Voici le résultat de vos élucubrations à propos de

QUIPROQUO

 

 

◦•●◉✿ Oncle Dan ✿◉●•◦

[Quiproquo]

1/ – Onomatopée

Par laquelle on désigne le chant du ciq.

« À la troisième embrouille, vous entendrez le chant du ciq. Par trois fois, il poussera son quiproquo » (Nouveau Testament apocryphe )

2/ – Nom commun (masculin)

Cri du malentendu le soir au fonds des bois.

« Pourquoi tant de quiproquos alors que je viens nu, me prosterner à vos pieds »
Acte II – Scène IV du « Naturiste malgré lui » de Jean-Baptiste Paquelui (1622-1673)

◦•●◉✿ Gibulène ✿◉●•◦

[Quiproquo]

Gloubi-Boulga de vieux mots latins, au départ QUI PRO QUOD (prononcer Koui pro kouod), trop difficile à caser dans une conversation lorsque l’on évoquait un imbroglio (autre grande histoire, ce mot là!)
Il n’était pas facile en effet de dire :
« l’histoire reposait sur quid pro quod et avait créé un malaise au sein du milieu nyctalope qui éructait en borborygmes bruyants »

Les Académiciens, soucieux de nous simplifier la tâche, se penchèrent sur ce mot destiné à traduire un malentendu sans que ce soit injurieux pour les malentendants. Ils décidèrent donc de simplifier la formule en la transformant, ce qui donna Quiproquo (prononcer kiproko).

Ainsi, la phrase énoncée un peu plus haut s’en trouva nettement simplifiée :
« l’histoire reposait sur su quiproquo et avait créé un malaise chez les veilleurs de nuits qui rotaient fort »

Étonnant, non ?

◦•●◉✿ Lydia✿◉●•◦

[Quiproquo]

Etymologie latine.

Association de deux termes : quid (pourquoi) et procare (demander). Les grands orateurs latins, fâchés par les questions idiotes de la plèbe, avaient pour habitude de prononcer « quid proco ? » signifiant « pourquoi, je me le demande » ? Tout ceci de manière ironique. Les discours de Cicéron en sont ponctués. Ainsi, dans le De Republica, il dira : « Les plébéiens devraient s’appeler plaies béantes. Ils posent des questions insensées. Que leur répondre à part quid proco ? Mais même ça ils ne comprennent pas. Ils pensent qu’on se pose véritablement la question. Comment faire une République avec de telles personnes incapables de comprendre les finesses de l’esprit ? »

L’expression a désigné par la suite un benêt posant des questions idiotes. L’orthographe vient des différentes traductions. On retrouve le terme chez le célèbre dramaturge Molière qui, à ses débuts, avait créé une pièce intitulée Le Quiproquo ridicule, pièce tombée dans les oubliettes.

 

◦•●◉✿ Tristan Savin ✿◉●•◦

[Quiproquo]

n. m.

Du latin quid (« quoi »), pro (« à la place de ») et quod (« qui »).

À l’époque médiévale, les apothicaires utilisaient la locution latine quid pro quod pour désigner la substitution d’un produit ou d’un médicament (sciemment ou involontairement). Par habitude, les pharmaciens nommèrent « quiproquo » un médicament pris pour un autre.

Le terme quitta les officines pour se diffuser dans le langage commun.

Désormais synonyme de « malentendu » ou de « confusion ».

Mais pour faire un authentique quiproquo, le malentendu doit s’appliquer à « ce qui est pris pour autre ». Ne pas confondre avec la « paronymie », qui est une confusion sur les mots due à leur homonymie approximative.

Le quiproquo est devenu un ressort théâtral, très en vogue depuis Molière, qui en usa abondamment. Il fut ensuite utilisé par Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro et par Marivaux dans Le Jeu de l’amour et du hasard et depuis dans bon nombre de vaudevilles.

Quand il s’agit d’une méprise sur les rôles, le quiproquo prête à rire. Cela permet de faire passer la pilule.

Dictionnaire des mots savants employés à tort et à travers

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Robert Desnos : L’éléphant qui n’a qu’une patte

L’éléphant qui n’a qu’une patte
A dit à Ponce Pilate
Vous êtes bien heureux d’avoir deux mains,
Ça doit vous consoler d’être Consul romain.

Tandis que moi sans canne et sans jambe en bois
Je suis comme un héron et jamais je ne cours et jamais je ne bois
Et je ne parle pas des soins qu’il me faut prendre
Pour monter l’escalier qui conduit à ma chambre.

J’aimerais tant laver mes mains avec un savon rose
Avec du Palmolive avec du Cadum
Car il faut être propre et ne puis me laver
Et j’ai l’air ridicule debout sur le pavé.

Je n’ai pour consoler cette tristesse affreuse
Que ma trompe pareille aux tuyaux d’incendie
Et si je mets le pied dans le plat
Il y reste et l’on ne peut le manger à la sauce poulette.

Plaignez, Ponce Pilate, plaignez cette misère
Il n’y a en a pas de plus grande sur terre
Vous êtes bien heureux de laver vos deux mains
Ça doit vous consoler d’être Consul romain.

Robert Desnos

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